Mon enfant a l'oreille absolue

THÉO, 6 ANS, ADORE LA MUSIQUE. IL EST ATTEINT D’UNE FORME DE PARALYSIE CÉRÉBRALE – LA DIPLÉGIE SPASTIQUE – ET PRÉSENTE UN TROUBLE DU SPECTRE DE L’AUTISME. ALORS IL N’ÉTAIT ENCORE QU’UN BAMBIN, SES PARENTS ONT DÉCOUVERT AVEC SURPRISE QUE THÉO POSSÉDAIT UNE FACULTÉ TRÈS EXCEPTIONNELLE: L’OREILLE ABSOLUE. Par Gabrielle Lisa Collard

On estime qu’environ une personne sur dix mille posséderait l’oreille absolue, soit la capacité d’identifier une ou plu sieurs notes de musique sans autre référence auditive.

«Le lien entre le TSA et une affinité pour la musique est établi depuis les premières définitions de l’autisme, il y a 70 ans, explique Sylvain Larouche, enseignant et musicothérapeute à l’école spécialisée John F. -Kennedy, de Beaconsfield. Les personnes autistes démontrent parfois une attirance pour certains stimuli auditifs et des habiletés d’improvisation et de mémorisation musicale hors du commun, dit -il. Et l’incidence d’oreille absolue serait 500 fois plus fréquente dans la population autiste que dans la population générale.»

À ce propos, Bébé symphonique a rencontré Élise Cormier, chanteuse, comédienne... et maman d’un petit garçon différent aux aptitudes étonnantes.

ÉLISE, COMMENT AVEZ-VOUS DÉCOUVERT L’INTÉRÊT DE THÉO POUR LA MUSIQUE?

Mon fils était un bébé extrêmement difficile qui pleu rait beaucoup et parlait peu. Mais déjà, tout petit, longtemps avant qu’il soit diagnostiqué, la musique le calmait. Il aimait les berceuses et semblait apaisé par le son du piano quand j’en jouais pour lui. Puis, un matin, alors qu’il s’amusait avec un petit piano jouet, il s’est spontanément mis à nommer chacune des notes qu’il jouait. Ç’a été une véritable révélation!

C’EST BIEN ÇA QU’ON APPELLE L’OREILLE ABSOLUE?

Oui! Théo peut immédiatement reconnaître la tonalité de tous les sons du quotidien, du bruit d’un camion qui recule dans la rue à la note que fait le son d’une fourchette qu’on cogne contre un verre. Encore au jourd’hui, la musique le passionne plus que tout.

QUELLE A ÉTÉ VOTRE RÉACTION EN COMPRENANT QU’IL AVAIT CETTE APTITUDE RARE?

Je me souviens qu’on a ressenti un grand soulagement, son père et moi, parce que ça nous a fait réaliser qu’il était attentif à ce qu’on lui disait et à ce qui l’en tourait. On ne savait pas encore s’il était atteint intellectuellement, à l’époque. Et le fait de constater qu’il avait retenu le nom des notes qu’on lui avait chantées et qu’il appréciait la musique nous a comme ouvert un tout nouvel univers. Parfois, quand je lui chante une berceuse pour l’endormir, il me demande de la lui chanter dans une autre tonalité: «Frère Jacques en ré!» Il doit alors me chanter un «ré» pour que je puisse m’exécuter... parce que je n’ai malheureusement pas l’oreille absolue, moi! (rires )

COMMENT AVEZ-VOUS CULTIVÉ SON GOÛT POUR LA MUSIQUE?

C’est Théo qui décide à quel rythme il avance. On s’assure simplement de lui donner ce dont il a besoin pour s’amuser et expérimenter, sans jamais lui mettre de pression ni avoir d’attentes. Il y a des instruments partout chez nous! Être parent d’un enfant handicapé, c’est accepter de lâcher entièrement prise sur nos idées préconçues quant à son développement. Tout peut alors devenir une petite réussite, une belle surprise. On met donc une panoplie d’instruments à sa disposition et on fait de la musique ensemble. On adore chanter en duo! Du point de vue de la théorie musicale, je me débrouille bien, mais franchement, Théo est déjà rendu à un niveau bien plus avancé que moi. Depuis quelque temps, c’est donc mon frère, un musicien professionnel, qui a pris le relais pour lui enseigner des notions plus complexes et continuer de cultiver son intérêt.

QUELLE PLACE LA MUSIQUE OCCUPE-T-ELLE DANS LA VIE DE THÉO?

C’est son champ d’intérêt principal! Il ne peut pas se tenir debout, il se déplace avec une petite marchette et il a des difficultés au niveau de la motricité fine, ce qui limite ses activités de manière importante. Il ne peut pas vraiment bricoler ou colorier... mais la musique remplit sa vie. Il ne se passe pas une journée sans qu’on chante ensemble. Il aime aussi regarder des vidéos de musique sur YouTube et il joue seul sur son clavier plusieurs heures par jour.

AVEZ-VOUS L’IMPRESSION QU’IL PERÇOIT LA MUSIQUE DIFFÉREMMENT DES AUTRES?

Pour Théo, la musique semble être un langage, déjà entièrement acquis, et beaucoup plus complexe et riche que ce que j’arrive à concevoir. Quand il écoute des chansons, il voit aussi des couleurs. C’est un phénomène appelé synesthésie. Pour lui, par exemple, la pièce Par la fenêtre de Théo, d’Alexandra Streliski, est jaune. Les notes de la gamme ont également chacune une couleur et celle¬ci ne change jamais. C’est fascinant!

COMMENT L’AMOUR DE THÉO POUR LA MUSIQUE A-T-IL CHANGÉ VOTRE VIE?

Il nous a donné, en quelque sorte, un langage commun à travers lequel communiquer avec lui et approfondir notre connexion. La musique est pour nous un outil très précieux.

« C’EST THÉO QUI DÉCIDE À QUEL RYTHME IL AVANCE. ON S’ASSURE SIMPLEMENT DE LUI DONNER CE DONT IL A BESOIN POUR S’AMUSER ET EXPÉRIMENTER, SANS JAMAIS LUI METTRE DE PRESSION NI AVOIR D’ATTENTES. »